8. La faute à « pas de chance », vraiment ?

Juillet 2016 -  Centre Oscar Lambret – Lille. Seule dans cette salle d’attente de cet hôpital qui me rappelle tant de mauvais souvenirs, les secondes sont des minutes et les minutes sont des heures. Dans quelques instants, j’aurai les résultats de mon test génétique. Je suis intimement persuadée d’être porteuse de la mutation génétique BRCA1 comme ma mère, mais j’ai besoin de l’entendre pour avancer.

Quelques mois plus tôt, Maman nous annonce à ma sœur et à moi qu’elle a entrepris des démarches génétiques sous les conseils de son oncologue. A cette époque, je savais à peine que le cancer pouvait se transmettre par les liens du sang ! Il est vrai que ma famille du côté maternel est fortement touchée par les « cancers gynécologiques » : seins et ovaires. Arrière grand-mère, grand-mère, grand tante et maintenant mère… Maman nous explique que le cancer des ovaires peut se révéler être d’ordre génétique et se transmettre de génération en génération. Lorsque les médecins sont face à une patiente ayant au moins deux parents touchés par un cancer gynécologique, ils lui proposent de réaliser un test sanguin afin de vérifier une mutation de leur gène BRCA1 ou BRCA2. Maman a accepté ce test sans aucune hésitation. Elle a souhaité le faire pour ses enfants, ses petits enfants et ses sœurs.

A l’annonce de cette possible mutation chez ma mère, je ne comprends pas très bien et ne me rends pas compte de l’importance de celle-ci. Je questionne très peu ma mère et me montre peu intéressée par le sujet, qui n’était alors là qu’une supposition. Concentrons-nous sur son cancer dans un premier temps ! Me dis-je.

Le jour de ses résultats, de longs mois plus tard, Maman a le visage fermé et se montre très inquiète. Elle est bel et bien porteuse de la mutation génétique BRCA1 comme l’étaient sa mère et sa grand-mère. Maintenant, mes sœurs et moi savons que nous avons un risque sur deux d’être porteuses également. Soit, nous avons hérité des gènes de notre père, soit de ceux de notre mère.

Quelques informations scientifiques pour mieux comprendre…  La probabilité pour une femme porteuse d’une mutation délétère sur BRCA1 d’avoir un cancer dans sa vie est d’environ 70% pour le sein et 40% pour l’ovaire.

Lors de l’échange avec mes parents, les mots et les chiffres se mélangent dans mon cerveau et, là encore, je me détache de cette annonce faite de « risques » et de statistiques. Il faut dire que la population française n’est absolument pas informée de l’existence de cancers d’origine héréditaire. Pourquoi en entend-on si peu parler aujourd’hui en France ? Ils concernent pourtant 5 à 10 % des cancers.

Cette soirée-là, à la vue du mal être de ma mère, je décide de m’intéresser à cette nouvelle. Je la passe les yeux rivés durant de longues heures sur mon ordinateur. Il suffit de taper « gène BRCA1 » ou « gène BRCA2 » sur Google pour découvrir la réalité, la face cachée des statistiques.

Dois-je savoir que je porte en moi cette mutation ?  Ou dois-je m’en tenir à « un risque sur deux d’avoir x pourcent de malchance de développer un cancer » ? J’en savais trop maintenant… Je devais aller au bout de la démarche. Sinon, j’y penserai tout le temps à cette fichue probabilité ! Et peut-être qu’elle ne me concerne en rien, alors vérifions ! J’ai tout de suite su que je ferai ce test après avoir eu connaissance des répercutions possibles et après en avoir compris les enjeux.

Sur Internet, je rencontre une véritable communauté de personnes porteuses de cette mutation génétique. Je lis des articles sur Angélina Jolie, véritable ambassadrice sur le sujet. Je me trouve sur un forum où l’on discute mastectomie ou encore ovariectomie… Je découvre l’histoire fantastique de Laetitia Mendes, l’une des premières françaises à subir une mastectomie préventive afin de se libérer des risques d’un cancer du sein. Je suis face à des femmes qui prennent leur destin en main et dégagent une assurance immense. Elles font de leur talon d’Achille, leur arme de guerre ; de leur faiblesse, une force.

C’est alors pleine d’espoir et de positivisme que j’arrive au COL pour rencontrer mon onco-généticien. Dès le premier regard, cette dame me parait glaciale. Face à elle, je me sens jugée et surtout incomprise. Elle me demande plusieurs fois si je suis bien sure de vouloir réaliser ce test, compte tenue de mon « jeune âge » et des « répercutions certaines » que le résultat engendrerait sur ma vie. Pour la première fois, je doute. Moi qui cherchais de l’empathie et du soutien, je reçois tout l’inverse. Cette dame me liste tous les mauvais côtés de recevoir une telle annonce « si jeune » et m’incite clairement à faire l’autruche jusqu’à mes 30 ans, parce que « de toute façon, avant mes 30 ans, on ne pourra rien faire ! » Je me braque et ne lui pose aucune question malgré ses quelques relances. Pourtant, des questions, j’en avais pleins la tête et je les avais même listées ! Je maintiens le prélèvement sanguin et sors du COL déboussolée.  

Depuis le test, plus les jours passent, plus je suis persuadée qu’il sera positif. Je me retrouve dans les témoignages des « mutantes », je m’imagine donnant un pied de nez et devançant la maladie mais surtout… j’ai conscience depuis toute petite qu’un lien nous unit ma mère et moi, quelque chose de fort, d’invisible et d’incassable qui nous reliait avec ma grand-mère également. J’ai toujours eu du mal à l’expliquer mais aujourd’hui ce lien est devant mes yeux. Je suis persuadée qu’il contient 4 lettres et un chiffre.

Juillet 2016 – Centre Oscar Lambret – Lille. Un regard. Il m’a suffit de croiser le regard du Docteur glaciale pour comprendre. Je rentre dans son bureau, je m’assois. Mon cœur bat la chamade. Qu’elle me le dise et vite ! Elle ne se fait pas prier et s’empresse de m’annoncer la nouvelle. Le test est positif. Elle me dit cette phrase comme si elle m’annonçait un rhume. Je suis sous le choc. J’en étais pourtant persuadée, mais cette fois-ci, c’est officiel. La nouvelle vient d’un professionnel de santé et non des fruits de mon imagination. Je pense à ma mère. Je suis effondrée pour elle, car elle le sera pour moi. Le temps s’arrête, j’ai le Docteur glaciale face à moi qui me récite un discours digne d’un poème de Maurice Carême, un de ces discours qu’elle a répété des dizaines de fois et qu’elle connait sur le bout des doigts. Je ne réagis pas et intériorise totalement la nouvelle en entrant dans un mutisme qui me correspond peu. Je remarque qu’elle se trouve pour le moins intriguée par ma réaction et me propose un rendez-vous quelques semaines plus tard le temps que je « digère l’annonce ».

Une fois rentrée chez moi, je ne réalise toujours pas ce que je viens de vivre. Je n’arrive pas à répondre aux quelques proches mis dans la confession et en attente de la réponse. Cette fois-ci, je ne me projette pas comme les guerrières sans sein rencontrées sur Internet mais plutôt comme une jeune femme morte de trouille, qui devra elle aussi passer par la case "cancer". J’ai du mal à réaliser. J’ai du mal à me projeter. Je m’étais pourtant bien préparée ! J’en étais même intimement persuadée ! Alors qu’est-ce qui cloche là ?!

Le souvenir le plus douloureux de cette journée sera l’appel téléphonique à Maman, en vacances à des centaines de kilomètres, ponctué de silences et de larmes...

 

 

 

 

 

 

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