6. Février 2016

[Cet article est sûrement le plus personnel et le plus difficile à écrire.]

 

Maman souffre d’un cancer des ovaires au stade IV et doit passer par la case chirurgie. Après plusieurs cures de chimiothérapie, les grosseurs ont diminué et sont maintenant aptes à être retirées. Après une très longue journée d’attente, le téléphone sonne en ce début de weekend. Je reçois un appel de mon père : tout c’est bien passé, elle est en réanimation. Je peux souffler, enfin. J’avais retenu mon souffle toute la journée, guettant l’horloge, imaginant ma mère le ventre ouvert dans un bloc opératoire. J’arrive dans l’heure qui suit dans ce grand hôpital Lillois, réputé comme un des meilleurs dans le traitement des cancers en France. C’est la première fois que je rentre au Centre Oscar Lambret (dit « COL »). Je suis perdue et angoissée au maximum. Dans quel état je trouverai ma mère ? Il fallait que je me blinde. Trop souvent j’avais craqué devant elle, c’était à moi d’être forte aujourd’hui, je m’y étais préparée, ça allait bien se passer.

Ascenseur, troisième étage. Un silence de mort règne dans ces couloirs de réanimation… Je vois passer des personnes vêtues de leur blouses blanches et cherche la chambre dans laquelle je vais enfin pouvoir retrouver ma mère. Je vois quelques mètres devant moi une petite dame et un grand monsieur se diriger vers la chambre en question et refermer la porte. J’attends une dizaine de minutes puis les vois ressortir. La dame est frêle mais parait sûre d’elle. Je devine de suite qu’il s’agit de quelqu’un d’important. Je la vois me regarder assez longtemps, comme si elle me connaissait, puis m’adresser un sourire qui me parait sincère. Je la salue puis entre dans la chambre. Dans cette chambre je vois ma mère, toute petite, chauve, très pâle dans ce lit blanc. Je remarque les nombreux fils sur son corps, reliés à toutes sortes de poches. Son nez est ponctué de deux tuyaux d’oxygène.  J’embrasse sa joue froide et échange quelques paroles avec elle. Elle me sourit. Mon père est debout, auprès d’elle. Je m’assois. Je souffle une deuxième fois. J’ai tendance à croire seulement ce que je vois. J’étais rassurée lorsque j’avais reçu l’appel de mon père, cette fois, je suis rassurée pour de bon, ma mère est vivante et va bien. Maman est shootée et à peine réveillée. Je ne resterai pas longtemps, la confierai à mon père, patient et investi.

J’ai quitté le COL dans la pénombre des soirées d’hiver et ai rejoint  mes amies dans le centre de Lille. Arrivée dans l’appartement de S. les yeux pleins de larmes et le cœur lourd, j’ai craqué pour la première fois devant mes amies. J’ai relâché la pression, non pas par la parole mais par les larmes, puis je me suis endormie dans le canapé, la tête sur l’épaule d’A., épuisée par les nuits précédent l’opération, ponctuées d’insomnies.

Le lendemain, Maman a meilleure mine, nous pouvons davantage discuter. Elle me raconte que l’opération a duré près de huit heures. Elle ne souffre pas mais est inquiète du compte rendu du chirurgien. La petite dame qui était venu lui rendre visite la veille était le chirurgien qui l’avait opérée. Durant l’opération, l’équipe médicale a découvert des cellules cancéreuses au niveau de la plèvre, qu’elle n’a pu enlever suite à des hémorragies successives. Le plan d’attaque est le suivant : Maman devra se refaire une santé avec plusieurs semaines de répit afin de réattaquer des cures de chimiothérapies, plus nombreuses, plus longues.

Maman est abasourdie, elle avait espéré que cette opération sonnerait le glas de son calvaire. Le lendemain soir, profitant du fait que nous soyons que toutes les deux dans cette chambre du troisième étage, Maman a littéralement craqué, face à moi. Pour la première fois, j’ai vu ma mère désespérée, rendant les armes. Elle avait trop souffert des chimios et ne voulait plus y remettre un pied. Son heure avait sonné, elle ne se battrait plus, c’était terminé. Ma mère pleurait et criait de dépit, d’épuisement et d’espoir déchu. C’était fort, brutal, inattendu.

J’ai ravalé mes larmes, et lui ai exprimé toute ma hargne et mes pensées pleines d’espoir. Cette fois-ci, j’y croyais. Mon discours, aussi court soit-il, était à dix milles lieux de celui que j’avais prononcé lors de l’annonce, ce fameux samedi de septembre. Je croyais en elle, en nous, en l’équipe médicale. Elle allait repartir au combat et le gagner. Je quittais sa chambre une heure après la plage horaire autorisée, les jambes et le cœur lourds. Dans ces couloirs du COL, j’ai craqué. Encore et toujours… mais cette fois-ci, pas face à elle. C’était ma petite victoire. A peine arrivée dans l’ascenseur, j’ai lâché toute cette colère et cette haine. Personne ne devrait voir un proche dans un état comme celui-là. Pire, sa mère, l’être qui est censé nous protéger, nous rassurer. Les rôles étaient ici inversés et j’avais du mal à gérer cette situation naissante. Je ne critique en aucun cas l’attitude de Maman, je blâme surtout l’injustice et la difficulté de cette maladie.

Un étage plus bas, une femme entre dans l’ascenseur, j’ai les yeux rouges et hoquette encore. Je regarde le sol mais elle remarque de suite quelque chose d’anormal. Elle me demande si je vais bien, si elle peut m’accompagner prendre l’air. Je tiens à peine debout. Les paroles de Maman résonnent encore dans ma tête. Je décline sa proposition en la remerciant. Je sors rapidement pour rejoindre ma voiture. Sur la route qui rejoint l’hôpital à mon appartement, je dois m’arrêter sur le bas côté pour vomir. En rentrant chez moi, j’envoie un SMS à ma mère pour lui redire ce que je pense du futur et lui dire que je l’aime. C’est extrêmement rare et difficile pour moi de prononcer ces mots, même à l’écrit. Ici, j’en ressens l’envie, pire, le besoin. Je l’imagine seule dans sa chambre, avec ses pensées morbides et je dois gérer mes crises d’angoisses qui ponctuent ma soirée. Je suis épuisée mais je n’arrive pas à fermer l’œil. Après quelques heures de sommeil sur le petit matin, je prends une grande décision qui vient à moi naturellement.

Ce dimanche de février, je décide de prendre le taureau par les cornes, de changer ma vision des choses, ma mentalité actuelle, pour une pensée plus positive. Fini de s’apitoyer sur mon sort. Le cancer fait maintenant partie de ma vie et je ne peux rien y changer. Ce n’est pas de ma faute, ce n’est pas la faute de ma mère, c’est de la faute de personne. Après plus de six mois de rejet et de colère, place à l’acceptation. Si ma mère n’y croit plus, alors j’y croirais pour deux.

 

 

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