9. Vivre

Cette date de Juillet 2016 a changé ma vie. Il y a eu un avant et il y aura un après. Quelques jours après l’annonce de ma mutation génétique, je passe une semaine de vacances dépaysantes avec des personnes qui me sont chères. Ces vacances me feront un bien fou. J’apprends tout doucement à vivre avec ces statistiques. Le plan proposé par le Docteur glacial est clair : un suivi gynécologique tous les six mois sans oublier une autopalpation mensuelle. D’ici cinq ans, les bilans s’alourdiront avec des IRMs et mammographies.

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les docteurs et chirurgiens français se mettent une barrière sur l’âge des 30 ans pour agir. Selon eux, la très grosse majorité des femmes BRCA peut décider de réaliser une chirurgie préventive en se faisant enlever la poitrine à partir de cet âge. Il est vrai qu’avant ses 30 ans, une femme a très peu de risque de développer un cancer du sein. Mais il en existe ! Pourquoi donc attendre ? A l’heure actuelle, j’ai 25 ans, je n’ai ni conjoint ni souhait d’enfant sur le court terme, je suis en pleine santé et je pratique un métier que me permet d’avoir beaucoup de vacances. Selon moi, je suis dans une période optimale. Lorsque mes 30 ans arriveront, peut-être que j’aurai des enfants en bas âge dont il faudra s’occuper. Après avoir subi une telle chirurgie, cela deviendra plus compliqué.

Très tôt, j’ai su que j’opterai pour cette option au détriment du suivi bien trop fréquent. Comme je l’ai déjà précisé, je suis quelqu’un d’entier aux choix souvent radicaux, c’est blanc ou noir. Je n’imagine pas que l’on me fasse un check-up des seins et des ovaires deux fois par an. Ce serait une trop grande source de stress pour une angoissée chronique que je suis ! Je garde cette idée en tête et la partage à quelques proches, souvent désorientées par un choix si radical.

Je n’ose pas encore en parler à Maman… Elle s’inquiète beaucoup pour moi et se sent grandement coupable de m’avoir transmis ce gène. Je me dis qu’elle ne supporterait pas de me voir hospitalisée ni opérée. Cela la rendrait encore plus malade qu’elle ne l’est ! Après, ce ne sont que des suppositions… Peut-être qu’elle serait, au contraire, soulagée de mon choix qui me ferait revenir à 5% de risque de développer un cancer du sein dans ma vie, comme toute femme française quelconque. Aborder ce sujet avec Maman est très difficile car je crains sa réaction. Je ne supporterai pas qu’elle soit contre moi ! L’avis des autres m’est égal dans cette situation mais pas le sien.

Un soir, je décide de rejoindre un groupe de soutien BRCA sur Facebook. J’y trouve des photos de poitrines abîmées, écorchées, mutilées par la mastectomie qui freineront grandement ma motivation. Je suis pourtant une personne censée qui a compris les enjeux de réaliser un tel geste ! Pourquoi m’attarder sur les conséquences de l’acte en dépit de la cause ?! Je m’en veux de m’attacher à l’importance de l’esthétique mais c’est plus fort que moi… Des mois après, j’ai encore l’image de ces cicatrices dans ma tête.

Les semaines passent et je pense au futur sans trop y penser. Maman va mieux, nous allons tous mieux même si d’autres événements externes au cancer surgissent dans la famille. Je me projette davantage en temps que « jeune femme à risque » et me trouve maintenant différente de la jeune femme que j’ai été. Après avoir accepté et subi cette pitrerie génétique en me disant que je disposais vraiment d’un mauvais karma… J’accepte la nouvelle comme une chance. Je sais maintenant, comme plus de 20 000 femmes en France, que je possède un risque relativement élevé d’un jour contracter la maladie. Mais qu’en est-il de celles et ceux qui ne le savent pas ? Qu’en est-il de ces familles qui subissent cela en pensant simplement qu’il s’agit d’une malédiction ? Savoir est une chance, la chance de prendre sa vie en main et de dicter les règles.

Fin octobre 2016, je m’apprête à rencontrer Laetitia Mendes. Quelques semaines plus tôt,  j’ai dévoré son livre en une journée. Elle y raconte son parcours de « mutante » : de la maladie de sa maman à sa décision de subir une double mastectomie préventive. Ce livre résonne en moi comme une ode à la vie. Il me transmet une force et une rage de vivre que je n’avais jamais perçue jusqu’ici. Je me retrouve dans ces mots et m’imagine menant le même combat. Lorsque je rencontre Laetitia lors d’une conférence, j’ai l’impression que je la connais depuis toujours. Elle est resplendissante, passionnée, sincère et sûre d’elle. Cette rencontre me booste et me rassure. C’est donc possible… Possible d’avoir un destin semé d’embuches et de tirer parti de ses failles pour exister et briller. Aujourd’hui Laetitia a créé son association dédiée à la lutte contre les cancers génétiques et d’origine héréditaire appelée Geneticancer. Elle œuvre chaque jour pour prévenir, informer, épauler et soutenir les familles à risques. Son association collecte également des fonds pour la recherche.

Fin 2016, j’accompagne Maman pour la première fois à une de ses chimiothérapies. Rien que le fait de mettre un pied dans cet hôpital me file la nausée mais je souhaite vraiment soutenir Maman et l’épauler durant ce moment. Je vais alors comprendre pourquoi mes parents me dissuadaient  jusqu’ici d’y aller… Après avoir vu l’oncologue, nous nous dirigeons vers la salle d’attente de la chimiothérapie. J’y découvre des personnes de tous âges qui ont un point en commun : la souffrance. Ces personnes sont maigres, pâles, amochées et malgré leurs sourires…elles ont le regard triste. Elles sont bien plus fortes que les accompagnants qui eux, ne cachent pas leur détresse et leur inquiétude. Je croise le regard d’une jeune femme à peine plus âgée que moi. Elle est accompagnée de sa mère et peine à marcher sans son fauteuil. Elle parait tellement faible sous sa minerve qui lui tient la nuque… Ensuite, je découvre un homme d’une cinquantaine d’année dont la tête est recouverte d’un bandage. Il est seul et attend. Sans rien faire, les yeux dans le vide. Sur ma droite il y a un couple de personnes (très) âgées. Madame est malade mais c’est monsieur qui se plaint et s’endort contre l’épaule de sa bien aimée qui lui caresse les cheveux, comme pour le rassurer. Sur ma gauche, je vois une femme d’une trentaine d’année ou peut-être plus. Je la trouve magnifique. Entourée de deux amies, elle porte son crane chauve comme une couronne et dégage une force incroyable. Après une heure et demie d’attente, nous entrons dans la salle de chimiothérapie. Je découvre ici la définition de la souffrance. La salle est pleine. Sous leur casque, je vois des personnes en détresse. Elles ont l’air épuisées et à bout de force. Les grimaces sur leur visage trahissent leurs légers sourires de surface. Les yeux rivés sur le sol, je ne suis pas capable de voir Maman dans cet état. Elle s’endormira très vite et peinera à rejoindre la voiture après 2 heures d’injections. Ce jour-là, je me suis promis à moi-même que je ne vivrai pas ça. Je n’en serai pas capable et je ne l’infligerai pas à mes proches. Ce jour-là, je me suis promis de passer au dessus de ces ignobles cicatrices…

 

 

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