3. Pourquoi ?

Après les nombreuses questions et les larmes plutôt maitrisées, après avoir serré sa main dans la mienne, après avoir prononcé un semblant de discours de force et de détermination auquel je ne croyais absolument pas, je suis allée dans la pièce voisine, ma chambre. Je voulais quitter la chambre de mes parents le plus rapidement possible, me persuader que je venais de faire un cauchemar, que tout cela ne s’était jamais produit… Fuir la réalité, tout simplement.

J’ai eu envie d’envoyer un message de cinq mots à mes deux plus proches amies : « ma mère a un cancer ». La bombe était lâchée. J’avais besoin de partager ce tsunami émotionnel avec quelqu’un. C’était un message certes, mais je n’étais capable de rien d’autre à ce moment là.

Ensuite, j’ai pleuré, encore et encore. Pas de larmes de déception ou de tristesse, ni des larmes de douleur ou de compassion, j’ai pleuré des larmes de colère. Des larmes qui viennent du fond des tripes et qui te brûlent la gorge, te bouchent le nez, te piquent les yeux et te provoquent une migraine une fois la crise terminée.

Pour moi le cancer était synonyme direct de mort et ma mère allait mourir. J’allais perdre ma mère à 23 ans. J’ai pensé à une ancienne amie qui avait perdu sa maman deux ans plus tôt. J’ai pensé à elle tellement fort… Je me suis demandée comment elle avait fait pour supporter cela. Je me suis demandée, comment elle avait réagi, elle, à cette annonce, son annonce, ses tours écroulées…

J’avais l’impression d’appartenir à dans un cercle fermé, un cercle dont personne ne veut entrer mais qui s’agrandit à une vitesse phénoménale : les familles touchées par le cancer. C'était le fils de la boulangère, c’était le voisin, la collègue, la cousine d’une amie, un proche d’un ami… C’était nous maintenant.

Toujours dans ma chambre, à un mur d’écart de Maman, j’étais si proche d’elle physiquement mais je me sentais tellement loin d’elle maintenant… Je ressentais comme un rejet dont j’ai encore du mal aujourd’hui à expliquer. Je ne voulais pas associer le cancer à ma mère, c’était impensable. Elle m’avait fait une mauvaise blague ou alors elle était triste pour une de ses amies qui venait de lui apprendre la nouvelle mais cela ne la concernait pas directement !

Après avoir communiqué, pleuré, pensé, j’ai cherché. Auprès des mauvaises sources mais surtout auprès de celles que j’avais sous la main : Internet. Je déconseille à quiconque de taper : « cancer des ovaires » sur Google. Les larmes sont forcément remontées. Mais pourquoi donc cette saloperie existe ? Pourquoi vient-elle s’agglutiner sur Maman ? Pourquoi pas sur la voisine de gauche, impolie et qui tire tout le temps la gueule ?!

J’ai ressenti une injustice extrême. J’étais en colère. Contre tout. Contre tout le monde. Le papy qui n’avance pas assez vite sur le trottoir, mes affaires mal rangées dans mon armoire, les familles dont chaque membre est en pleine santé, mes amies qui me posaient (à juste titre) des tas de question par SMS après ma bombe déclenchée, le trop plein de publicité à la télévision, les gens qui se plaignent pour un rien et les petits bobos… J’étais en colère contre moi et même contre ma mère.

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